Victoire française autour d’une fabuleuse épave en Floride

L'épave de La Trinité gît par moins de 10 mètres de fond, à quelques encablures d'une plage de Cap Canaveral. Elle a été découverte en 2016 par une entreprise privée de recherches sous-marines, Global Marine Exploration (GME), dirigée par l'Américain Robert Pritchett. (Photo GME)
L'épave de La Trinité gît par moins de 10 mètres de fond, à quelques encablures d'une plage de Cap Canaveral. Elle a été découverte en 2016 par une entreprise privée de recherches sous-marines, Global Marine Exploration (GME), dirigée par l'Américain Robert Pritchett. (Photo GME)
Temps de lecture : 3 min.

C’est un fameux trois-mâts qui tenait bon la vague mais pas l’ouragan: englouti en 1565 au large de la Floride, le navire “La Trinité” est l’objet d’une bataille judiciaire épique entre un Américain chasseur de trésors et la France, qui vient de remporter une manche décisive.

Le jugement de 24 pages, rendu le 29 septembre par le magistrat Allen Winsor du tribunal fédéral de Tallahassee, revient sur une époque lointaine et largement oubliée, celle de la “Floride française“, une colonie créée par des huguenots français au XVIe siècle.

Si cette colonie ne fut qu’éphémère, et si la Floride a longtemps été espagnole, c’est notamment à cause de la tragédie du naufrage de l’escadre commandée par le capitaine Jean Ribault, envoyé par l’amiral Gaspard de Coligny, chef des protestants français.

L’épave de La Trinité gît par moins de 10 mètres de fond, à quelques encablures d’une plage de Cap Canaveral. Elle a été découverte en 2016 par une entreprise privée de recherches sous-marines, Global Marine Exploration (GME), dirigée par l’Américain Robert Pritchett.

Fleur de lys

Parmi les objets identifiés sous l’eau figurent trois canons en bronze ornés d’une fleur de lys. Ainsi qu’une inestimable colonne en marbre, portant le blason du Royaume de France, que Ribault était censé installer à terre pour marquer la souveraineté française.

Depuis sept ans, GME et Pritchett mènent une offensive judiciaire pour exploiter l’épave, probablement riche en nombreuses autres merveilles.

Forcée d’admettre que c’était bien le vaisseau amiral de Jean Ribault qui se trouvait sur le fonds marin, ce qu’une cour fédérale a affirmé en juin 2018, la société américaine a concentré ses efforts à tenter d’écarter l’application du Sunken Military Craft Act (SMCA).

Ce texte, promulgué par George W. Bush en 2004, reconnaît la souveraineté d’un pays sur ses anciens navires de guerre.

Selon GME et Pritchett, La Trinité transportait des marchandises et des colons vers le Nouveau Monde et n’a pas coulé lors d’un conflit militaire. D’ailleurs, disent-ils, la France et l’Espagne n’étaient pas en guerre.

Eh bien si, rétorquent les autorités françaises, par la voix de leur avocat américain, Jim Goold. Il s’appuie sur “la collection remarquable de documents à la Bibliothèque nationale sur le 16e siècle”, décrivant en détail l’équipement du trois-mâts, de ses 32 canons jusqu’à ses réserves de poudre.

“Nous avons démontré que La Trinité a coulé alors qu’elle était engagée dans une action militaire contre une flotte espagnole”, déclare-t-il à l’AFP. Conflit, de surcroît, opposant des protestants à la Couronne catholique d’Espagne.

Il rappelle qu’en quittant Fort Caroline, ainsi qu’était baptisée la colonie française de Floride, Ribault a “informé le commandant français du fort qu’il allait attaquer les Espagnols”.

Jim Goold a convaincu le tribunal. “La France a présenté suffisamment de preuves irréfutables montrant que La Trinité a sombré en mission militaire non commerciale”, relève le juge Winsor dans son arrêt.

“La Nouvelle France?”

Le dernier argument avancé par Global Marine Exploration est que la France aurait bénéficié indûment des travaux de GME pour localiser, photographier et fouiller l’épave.

Mais le juge Winsor a donné tort aux plaignants, estimant que la France ne pouvait être tenue responsable de services qu’elle n’avait pas commandés.

“Cette décision est un soulagement, et nous espérons que cette saga judiciaire va maintenant s’arrêter, afin de pouvoir nous concentrer sur la préservation de ces éléments de patrimoine culturel“, confie à l’AFP Florence Hermite, attaché justice de l’ambassade de France à Washington.

Va-t-on désormais pouvoir enfin s’intéresser à ce que recèle La Trinité? Jim Goold l’espère.

“On peut dire que La Trinité est l’épave la plus importante sur le plan historique en Amérique du Nord”, assure le ténor du barreau de Washington, qui a permis au gouvernement à Madrid de récupérer en 2012 un trésor estimé à 500 millions de dollars qu’une firme américaine, Odyssey, avait remonté d’un galion espagnol dans l’Atlantique.

“Quand le capitaine Ribault est arrivé, la France avait une puissance militaire supérieure en Floride: davantage de navires, davantage de soldats, davantage de canons que les Espagnols. Mais la perte de La Trinité et de centaines de soldats, marins et colons français ont poussé le roi de France à se focaliser plutôt sur le Canada”.

“S’il n’y avait pas eu l’ouragan…?“, s’interroge le juriste, en imaginant que le territoire actuel des Etats-Unis aurait pu devenir “la Nouvelle France“.

AFP