Professeurs assassinés – Une minute de silence et des mots pour comprendre

(Photos : SG/LDT)
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Les établissements scolaires de Polynésie étaient invités à observer une minute de silence ce lundi 16 octobre à 14 heures en mémoire des enseignants Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie, assassiné par un individu radicalisé, il y a tout juste 3 ans, près de son collège, à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), pour avoir montré des caricatures à ses élèves, lors d’un cours sur la liberté d’expression et Dominique Bernard, professeur de français, tué vendredi 13 octobre à Arras (Pas-de-Calais), pour avoir défendu ses collègues et ses élèves de l’attaque d’un terroriste qui recherchait un professeur d’histoire-géographie.

La minute de silence, annoncée au niveau national, a été respectée et empreinte d’émotion dans les établissements de Polynésie. 

Certains professeurs ont consacré la matinée à un temps d’échanges avec les élèves autour de ces évènements, comme au lycée Samuel Raapoto où nous avons rencontré trois enseignants. Laïcité, liberté d’expression, terrorisme, religion mais aussi prise de conscience de l’importance du métier de professeur ont été abordés en classe au travers de différentes approches pédagogiques. 

Hinaura Temauriuri, professeur d’histoire-géographie et d’enseignement moral et civique (EMC) et d’histoire-géo, géopolitique, sciences politiques (HGGSP) 

“Ça fait peur de devenir professeur aujourd’hui”

“Ce matin, nous avons replacé les choses dans leur contexte. Cela était demandé par les élèves. J’ai ressenti chez eux une crainte :“Ça fait peur de devenir professeur aujourd’hui”, ce genre de remarques de la part de nos jeunes fait quand même réfléchir. Certes, nous sommes loin de la métropole et nous n’avons pas été directement touché mais la tristesse et les interrogations sont bien réelles. Oui, ça fait peur mais on ne doit pas laisser la peur nous priver de cette lumière qu’est l’éducation. 

Dans la phase de préparation de cette matinée, j’avais travaillé sur l’affaire Samuel Paty, on avait assez de recul, mais s’est ajouté le drame de vendredi… Ce n’est pas évident de travailler à chaud. J’ai décidé de partir sur la capacité à développer son esprit critique dans mon cours d’enseignement moral et civique (EMC). 

Nous sommes partis de leurs représentations (des élèves) pour parler de la loi, du terrorisme, de la liberté d’expression…

A la fin de la séance, j’ai proposé aux élèves une activité d’écriture individuelle : soit écrire une lettre à un professeur de leur choix, soit écrire un discours en hommage aux professeurs assassinés ou à la profession en général ou encore écrire un développement sur les leçons à tirer de ces évènements à notre niveau. 

En cours d’ HGGSP, on reviendra sur ces sujets à travers le traitement de ces affaires par les médias.”

Marie Vaki, enseignante en histoire-géographie et enseignement moral et civique (EMC) 

Dans la peau d’un prof

J’ai consacré toute cette matinée à une séance spéciale en EMC ou j’ai rendu hommage aux professeurs Samuel Paty et Dominique Bernard. 

J’ai invité les élèves à regarder le documentaire Le collège de Monsieur Paty (mardi 17 octobre à 21 heures sur France 2 et bientôt sur la plateforme FranceTV), je leur ai rappelé ce fait qualifié d’attentat. J’ai parlé aussi de l’assassinat de Arras, lui aussi qualifié d’attentat.

Malgré qu’on soit à 18 000 km, on fait partie intégrante de la France et on se doit d’être solidaire. Et les élèves étaient, malgré tout, un peu affectés par ce qu’ils ont vu dans les médias.

Je les ai invité à travailler sur la lettre d’Albert Camus à son ancien instituteur. A 44 ans, alors qu’il va recevoir le prix Nobel de littérature, l’écrivain rend un vibrant hommage à celui qui lui a donné ses “efforts”, son “travail” et son “coeur généreux”. 

Nous avons regardé ensemble l’article 12 de la charte de la laïcité puis, je leur ai demandé de compléter cette phrase : “Si j’étais un professeur…” ; Je leur ai demandé de se mettre dans la posture d’un prof et d’exprimer leur ressenti.”

Sophie Nejin, professeur d’histoire-géographie et d’histoire-géo, géopolitique, sciences politiques (HGGSP)

“C’est important de ne pas se censurer”

“Je leur ai expliqué ce qui c’était passé : qu’un jeune radicalisé – en expliquant ce qu’est la radicalisation – était entré dans un établissement scolaire, qu’il connaissait pour y avoir été scolarisé, qu’il cherchait un prof d’histoire-géographie et qu’il était tombé sur un professeur de français, qui a voulu protéger des enseignants et des élèves, et c’est ce professeur de français qui a reçu un coup mortel. 

Même si tout cela leur semble loin, ils ont été choqués qu’on puisse venir tuer un prof comme ça pour des raisons politiques, ou pas d’ailleurs. 

Je pense qu’il faut expliquer les choses, c’est important, et de ne pas se censurer. 

Nous allons travailler cette année sur la guerre, la paix et tout ce qui se passe au Moyen-Orient depuis 1945 donc, ça fait partie du programme de mes élèves en terminale.

Ce que je peux dire c’est que, à la différence des collègues de métropole, je n’ai jamais eu aucun problème avec les élèves en Polynésie sur ces sujets. Ici, nous sommes ouverts à toutes les religions.”